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7 octobre 2012

Photo de classe/s

couv photos de classe

On avait lu "Et de ce ventre-là, on ne nous disait rien" de C. Carrignon. Il y avait l'histoire de Sébastien et puis, celle de Melle Auffret, de Pierre-Luc et de Norbert. Et, c'est à peu près tout. Le ventre, c'est la classe et même si l'école génère récits, témoignages, pamphlets... à chaque rentrée, la littérature s'est peu penchée sur elle.

En 15 récits, J.P Suaudeau nous invite au coeur du triangle dramatique qui fait se rencontrer/se confronter l'enseignant, les parents et parfois l'enfant, le soir, après la classe. Un rendez-vous pris souvent difficilement et là, au milieu des grands, Léa, Kévin, François, Medhi... pris dans leurs difficultés à vivre l'école, la maison. Le père, la mère, l'instit et lui, enfant pour les uns, élève pour l'autre.

Ça va bien je ne suis pas venue ici pour me faire disputer J'ai quatre enfants je suis seule j'ai repris à travailler il y a trois mois. Son menton tremble,... 

Très vite, chacun parle de soi, de l'amour, du manque d'amour, du trop d'amour, de la détresse à vivre, de la fatigue des corps, des cerveaux, des mots qui manquent pour le dire.

Les mères, les pères, les compagnons, les grands-pères nous dévoilent à leur manière la violence rentrée d'une société fracturée où l'école peine à rester lisible. 

Il est pas feignant Romuald et puis il est costaud Mais faut que ça l'intéresse L'école c'est pas son truc Rester toute la journée assis sur une chaise forcément Parce que faut voir ce qu'on entend depuis le début depuis qu'il est dans l'école Il a été pris en grippe C'est un môme hein et un môme ça fait des conneries c'est normal Mais avec vous faudrait pas bouger le petit doigt On croirait un camp de concentration Moi je lui dis à romuald C'est clair on t'frappe tu rends et tu te laisses pas insulter

L'enseignant en prend sa part. Il écoute. Que veulent-ils entendre ? Comment dire les difficultés de Sophie, de Stacy ? Il y a des larmes. Beaucoup. Des gestes brusques, des départs brutaux, des mots durs, pour l'autre, pour soi, pour l'enfant. Et parfois un sourire, un lien qui se noue, une confiance retrouvée.
On ressent l'angoisse de la claase vide après le départ des gosses, un lieu pas fait pour s'y retrouver à deux ou trois. On imagine la table du fond, autour de laquelle on se glisse sur des chaises trop basses et les paroles qui résonnent au creux des quatre murs. Un inconfort qui fait écho à celui de ces familles qui pour beaucoup ont accepté  depuis longtemps que ce serait dur pour leurs enfants, que ce n'était plus pareil qu'avant. L'obsolescence programmée de l'enfance, de l'école.

Il fait sombre, les lumières sont allumées : avant de partir, les enfants ont baissé les volets roulants. C'est l'hiver. Tous les trois assis à la table, à la grande table du fond de la classe, où d'ordinaire les enfants viennent lire par petits groupes. La largeur d'une table entre nous. 

Et puis, la douceur de l'enseignant. Il se confronte encore et encore à l'incompréhension, la déception, l'échec de toute une famille. Et il y croit encore. Il essaie encore. 
On touche du doigt le projet de l'auteur. Faire de "ce ventre-là" de la littérature.
C'est une réussite, parce que la langue est là. Juste, savante. L'écriture nous emporte avec fluidité dans un lieu où tout se dit, parfois crûment, souvent douloureusement, avec toujours, une émotion contenue qui nous emporte :

Quand on se tourne vers Célia, assise entre nous deux, dans un même mouvement, alertés peut-être par son silence devenu pesant, par une qualité particulière de silence, son absence de mouvement depuis quelques secondes, on découvre son visage impassible mais mouillé de larmes qui coulent silencieusement sans qu'elle cherche à les retenir, à les dissimuler, juste les larmes brillantes sur ses joues roses, se yeux noyés comme si elle l'était elle même, noyée, regard braqué sur quelque chose qui nous est invisible, submergée par quelque chose contre lequel elle ne peut rien.

Alors, de quoi nous cause J.P Suaudeau ? De l'adversité, des enfants apeurés, des parents qui viennent chercher des réponses que l'école n'a pas toujours...

et puis aussi de la petite lumière,
si fragile
qui palpite sous les paupières plissées
des filles et des garçons
et qui rend le coeur du maître
léger
certains soirs
où le désarroi laisse place
à des rencontres lumineuses

On les a reçus l'un et l'autre, on a déjà discuté longuement, discuté au portail, discuté dans le hall, discuté dans la classe. Avec elle surtout, rieuse et candide, enthousiaste et généreuse, qui veut savoir, voudrait savoir, tout, comprendre, tout, la lecture et l'histoire, la géographie et les arts plastiques, les problèmes et l'informatique, puisque c'était à la fois le savoir et le monde à portée, et comment aider ses filles, comment aider les enfants en général...

A lire, pour comprendre les mondes que doivent affronter les enfants, le grand écart que la société leur fait faire entre les savoirs familiaux et les savoirs de l'école, entre un lieu qui est celui de la parole et les non-dits de la maison. A lire pour se réchauffer auprès du professeur des écoles qui tente de les aider, l'enfant et ses parents, à grandir dans l'adversité.

A lire, pour saluer l'édition d'une cinquantaine de textes d'auteurs par François Bon chez PUBLIE PAPIER. Des textes qui bénéficiaient d'une édition numériques sur Publie.net et à qui il offe une chance de rencontrer leurs lecteurs.

Photo de classe/s
Jean-Pierre Suaudeau
21/04/2012  78 pages
Collection : Temps Réel
ISBN : 978-2-81450-593-3

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