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22 octobre 2012

Thierry METZ

Le journal d'un manoeuvre

Mes premiers gestes ici : creuser la terre. Ouvrir une fosse. Et disparaître.
Quotidien du manoeuvre : tant qu'il n'a pas trouvé l'arc-en-ciel de son livre,
il doit creuser. S'enfermer avec ses graines. 
Sinon comment méditer la mort et l'arbre ?  
Thierry Metz

Thierry Metz est né à Paris en 1956. Il a choisi de partir en avril 1997.
Manoeuvre sur les chantiers, cantonnier, terrassier, il lisait depuis l'âge de 14 ans, des poèmes, des romans. Il écrivait le soir après ses journées de travail harassantes et pendant ses périodes de chômage. il vivait avec sa femme, ses enfants près d'Agen, au bord de la nationale 113 là où Vincent, un de ses fils disparaîtra accidentellement.

pics-art-53   couverture

Thierry Metz était manœuvre et cantonnier, 
des métiers où les mains sont à l’œuvre, 
dans le toucher des matériaux, 
des manches d’outils, de la terre. 

Les mots en sont chargés, lourds comme les pierres à déplacer,
lourds comme les silences entre les coups de pelle
et le roulement des brouettes, lourds comme la terre.

Terribles textes entre cri et silence, terrible absence d’espérance.
L’écriture n’est ici que la trace lourde d’un pas sur un chemin,
la trace d’un homme qui va disparaître.

Et pourtant la lueur.
Ce feu, ce sont les mots qui dispensent seuls un peu de chaleur.
Les textes doux pour accepter le quotidien..
Des mots qui se font tendres pour l’enfant ou la bien-aimée,
les textes d’un homme qui a tenté de vivre.  
 

 Michèle Sales

Je relis souvent Le journal d'un manoeuvre. un autre chantier que ce livre-là. Une langue lumineuse, juste pour dire l'essentiel de l'être, la tendresse, la rage, la fatigue, la tristesse, la cruauté du monde.

Le chef ne fait que dire le chantier. rien d'autre.
Si on l'écoute : où est le monde ? Qu'est-ce qu'on fait ?
Comment savoir ?
On parle de rien ici.
C'est comme ça tous les jours.


Il écrit pour lui, sa femme, ses enfants. Sa petite voix atteint les autres,les hommes, nous.

Si vite

On a frôlé les villages du monde,

On s'arrache à ces jours qu'on n'a pas vus,
On s'écarte de soi. Tout va si vite.
juste eu le temps de m'essuyer les mains.
j'aurais aimé avoir longtemps vingt ans
Comme un busard qui plane.

La rumeur des cortèges, Gallimard, 2005

 

La lecture est douloureuse et pourtant nous rend intensément heureux. Comme si le terrassier nous murmurait à l'oreille. Nous prenait la main au creux des siennes, caillouteuses.

 Tu ne sais pas

parlant de l'objet
tasse
ou encrier
de l'objet aujourd'hui
indescriptible
que tu le forces à tomber
hors du livre
à se renverser
alors il perd son nom
et se souvient. 

Entre l'eau et la feuille, Arfuyen, 1991

 

La douleur de l'enfant mort, l'alcool, l'hospitalisation volontaire à Cadillac traversent l'oeuvre d'un homme seul, épuisé mais fulgurant. 

 

Une petite voix que nous connaissons bien

nous rend visite le soir. Une voix d'enfant qui

nous raconte ce qui se passe là-bas, comment

sont les gens, ce qu'on y trouve. Lentement il

nous berce, nous accompagne jusqu'au sommeil, nous ferme les yeux...

Non.

Rien de cela.

Qu'une inépuisable, inexorable absence.

Rien qu'une mort.

 Et un nom : VINCENT.

 (lettres à la bien-aimée L'arpenteur © Gallimard )

A Cadillac, il écrira 90 portraits d'hommes, de femmes croisés là-bas, à l'hôpital. Et, c'est  J. Grosjean, dans la préface de l'ouvrage qui nous souffle que "... Thierry Metz nous tend la perche d'une simplicité secourable. C'est que vivre a quelque chose de terriblement élémentaire. Chaque matin l'âme se réveille toute nue, et  le travail, la douleur, les gens, l'absence sont debout, bras croisés, à l'attendre avec un dur regard d'examinateur. Mais chaque soir, quand la fatigue ne l'a pas anesthésié, T. Metz note la part respirable des heures qu'il a traversées."

CENTRE HOSPITALIER DE CADILLAC EN GIRONDE,

PAVILLON CHARCOT. OCTOBRE 1996

 C'est l'alcool. Je suis là pour me
sevrer, redevenir un homme d'eau et
de thé. J'envisage les jours qui viennent
avec tranquillité, de loin, mais attentif.
Je dois tuer quelqu'un en moi, même si
je ne sais pas trop comment m'y prendre.
Toute la question ici est de ne pas perdre
le fil. De le lier, à ce que l'on est, à ce que
je suis, écrivant.

 Un homme marche dans les feuilles,
non loin du pavillon. Il se déplace si
lentement, avec tant de précautions
qu'il ne s'aperçoit pas qu'un arbre le
suit. 

L'homme qui penche se penche
pour écrire, pour retenir, peut-être,

ce qui était plus penché que lui. Il y
a les bruits que fait quelqu'un dans
mon oreille. Et quelque chose qu'on
a laissé tomber.

 

Poète de la simplicité, de la clarté,de l'acuité, de la réalité, de l'effacement, de l'écoulement du temps, du cri, du silence... tout est dit, tout est vrai.

Dialogue avec Suso : " Frère, Chaque jour, en caressant le loup, je lui donne la part la plus abondante de ce que je suis. Je m’abandonne à sa faim. Je lui donne un travail : s’attaquer au plus dur, à ne plus ruser avec les moineaux. Je te salue. "   
Cité par  Didier Arnaudet

 

Ici il y a plus de 36 chemins. Qui ne vont nulle part.

 

Extrait d'un poème de Thierry Metz paru en 1998 dans la revue Possible imaginaire :

Une autre lecture commence
toujours une autre
avec deux mots :
ici : qui accueille
là-bas : qui raccompagne
Deux mots pour se déplacer.

 

Et, encore le manoeuvre : 

Samedi.
J'ai fait quelques pas autour de la maison. Je n'avais pas besoin d'aller loin pour me perdre. Inutile. Comment s'éloigner dans un univers où l'être ne meurt pas ?
Je voulais marcher, c'est tout. Sortir un instant de ces besognes qui n'écoutent pas ce que nous sommes.
Marcher, dériver...
Lentement, j'ai suivi le soleil...
Lentement...
Qu'importe ce que j'ai trouvé. Du vent et des ombres.
Je passais.

On retrouve Th. Metz dans une dizaine d'ouvrages, certains réédités, d'autres pas; Beaucoup dans les bibliothèques et médiathèques, aux rayons poésie :

Dolmen, La demeure phréatique (Cahiers Froissard, prix Froissard 1989)
Sur la table inventée (Jacques Brémond, prix Voronca 1989)
Le Journal d'un manœuvre (Gallimard, l'Arpenteur, 1990)
Entre l'eau et la feuille (Arfuyen, 1991)
Lettres à la Bien Aimée (Gallimard, l'Arpenteur, 1995)
Dans les branches (Opales, 1995)
Le drap déplié (L'Arrière Pays, 1995)
De l'un à l'autre (Jacques Brémond, 1996)
L'Homme qui penche (Opales, 1997)
Terre (Opales / Pleine Page, 1997)
Dialogue avec Suso (Opales / Pleine Page, 1999)
Sur un poème de Paul Celan (Jacques Brémond, 1999)
Tout ce pourquoi est de sel (Pleine page, 2008)

 

Er garder la mémoire du poète de l'être, de "l'ici de l'homme",  découvrir une langue simple et inventive, refuge pour dire le meilleur des hommes :

12 août. Peu de chose arrive à entrer dans le chantier. Il faut se contenter d'une chanson d'Ahmed, d'une parole d'Antoine, du silence de Rodriguez. De brindilles. De résurgences. Du meilleur.

Et encore 

17 août. Huit heures. Louis arrive avec le camion. On charge les décombres, les pierres. On range les bois : planches et madriers. Le corps a vite chaud. On s'arrête un instant. Pour souffler. pour regarder ce qu'on a fait. Et ce qui reste. On bavarde. Nos voix sont en sueur. Louis s'éponge avec un mouchoir de grand-mère, immense et brodé d'initiales, qui sent la cendre et la pluie. On écoute ce qui a lieu dehors, ce qui passe. Puis très vite : tout devient silence, tout devient geste. On n'entend plus que nos pelles qui raclent l'inépuisable.
Ici, après neuf heures, on ne pense plus à rien. Sauf aux oiseaux et aux grands-mères.

Thierry Metz traque le meilleur en nous. Alors, laissez-vous faire. J'ai tenté de vous tenter. Il faut lire, relire, faire lire le journal du manoeuvre. La brutalité de ses évidences ne vous quittera plus.

D'autres sites pour lire d'autres chroniques, d'autres extraits :

 

http://pknet.pagesperso-orange.fr/poesie/resu/tmetz/tmetz.htm#asmigne

 http://terreaciel.free.fr/poetes/poetesmetz.htm

 

 http://remue.net/cont/metz01.html

 

 http://www.espritsnomades.com/sitelitterature/metz/metzthierry.html

 

  http://remue.net/cont/metz03SG.html

 

" Une oeuvre est achevée, non quand elle l'est, mais quand celui qui du dedans y travaille peut aussi bien la terminer du dehors, n'est plus retenu intérieurement par l'oeuvre, y est retenu par une part de lui-même dont il se sent libre, dont l'oeuvre a contribué à le rendre libre "  Maurice Blanchot

 

Prochaines chroniques : littérature jeunesse

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